BESANÇON

Chercheuse, elle change de vie pour devenir tatoueuse

Catherine Chaillet
Les tatouages d’Élodie Cretin alertent sur la nécessité absolue de préserver la biodiversité. Photo DR.
Chercheuse en sciences humaines, Élodie Cretin a beaucoup travaillé sur les soins palliatifs, avant de trouver dans l’art du tatouage matière à relier l’humain et l’animal. À la main, elle inscrit sur la peau le spectrogramme revisité du langage animal.

La recherche sur la fin de vie fut une passion. Durant 15 ans, Élodie Cretin a réalisé des études cliniques sur des situations souvent complexes d’un point de vue éthique, elle a consigné les récits pour comprendre ce temps riche et mystérieux de la fin de vie. À l’Université, elle a ensuite dirigé l a plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie. « Le travail de recherche implique une temporalité longue, avec peu de visibilité sur les résultats. À un tournant de ma carrière, j’ai eu envie de proximité avec les corps et les gens, de voir l’aboutissement de mon travail, de voir des gens heureux ». Élodie Cretin pratique alors le tatouage et d’autres activités créatives en loisir. Elle se lance, décide de tatouer à plein temps. « C’était le moment, plus tard, c’était peut-être trop tard ».

Un grand écart qui bouleverse le quotidien, financièrement elle passe du salariat à la création d’entreprise, socialement, du travail d’équipe au travail solo. « L’accompagnement par BGE (boutique de gestion) a été super ».

Élodie Cretin acquiert la technique en autodidacte, elle s’entraîne sur des peaux artificielles, des fruits, des peaux de cochons, leur texture est proche de la peau humaine, puis sur les amis, sur elle. Elle sait la nécessité de se singulariser. Techniquement elle opte pour le handpoke ou tatouage à la main qui point par point, renoue avec des méthodes anciennes. « Cela implique une lenteur proche de la méditation. Cette technique est moins douloureuse qu’avec une machine, même s’il faut du coup garder la pose plus longtemps ».

Se singulariser c’est donner un sens aux gestes. Élodie Cretin pense biodiversité, « en 50 ans la moitié des insectes ont disparu ». Son intérêt est là, dire, prévenir, dénoncer. « J’avais en mémoire un documentaire du naturaliste Marc Namblard et les images des spectrogrammes de sons. Et j’ai entendu un podcast de bioacousticiens qui écoutaient les baleines. Je les ai contactés pour recevoir ces enregistrements, j’ai trouvé d’autres travaux d’acousticiens ou d’audionaturalistes dans la littérature scientifique, mon ancien métier m’a aidé ».

Élodie Cretin s’empare alors des phrases musicales pour en retenir des extraits esthétiquement intéressants. Elle stylise, assemble, les pose en miroir, en ronde, en ligne, en colonne. Après des heures de recherches, elle discute avec les clients à partir de plusieurs propositions. « Je pensais qu’on me demanderait des sons d’animaux emblématiques comme l’aigle, le faucon… Mais une soigneuse m’a demandé le cri du martinet, qu’elle côtoie chaque jour. On m’a demandé celui du hamster doré ou du blaireau et même du kakapo que je ne connaissais pas, un énorme perroquet hibou de Nouvelle-Zélande en voie de disparition ».

• Équilibre

On lui demande aussi de transcrire le miaulement de Pépère le chat, de Gao le dogue de Bordeaux. Dans l’absolu, elle pourrait transcrire la voix humaine, un fils, une fille, un père, une mère, un amoureux… Elle éclate de rire, « pour l’instant, je me contente des animaux ».

Aux signes en noir, en signature, elle ajoute un point bleu lumineux et contemporain. Pour prolonger cette démarche qui conjure le silence annoncé des animaux, pour sensibiliser à la protection des animaux et de la conservation, elle verse des dons aux associations. Elle aime cette activité à mi-chemin entre l’artistique et le scientifique, entre le son et le visuel, entre l’humain et l’animal. Dans ces entre-deux, Élodie Cretin a trouvé un tout nouvel équilibre.